La physique des vagues
Au gymnase, quand les cours de sciences se sont scindés en biologie, chimie et physique, j’ai découvert que j’étais fascinée par la biologie, j’aimais beaucoup la chimie, et je trouvais la physique barbante. Pourtant, là, j’ai envie de commencer avec une touche de physique.
Les vagues sont parmi les forces les plus puissantes et efficaces. Elles modifient tout ce qu’elles touchent, transformant les coquillages en sable et sculptant des falaises.
En tant qu’humain, notre biologie est sous l’influence puissante de deux lois physiques: d’une part les vagues hormonales qui nous façonnent, et d’autre part la recherche constante d’équilibre. La maladie est toujours la résultante d’un déséquilibre, alors que la santé réside dans le maintien de l’équilibre ou homéostasie des systèmes biochimiques.
Un jour sur Terre
Prenons l’exemple du cortisol. Cette hormone, libérée par les glandes surrénales, provoque en marée montante l’éveil, la vivacité d’esprit, la vigilance et l’envie d’apprendre. Durant son pic en matinée, on se sent physiquement et mentalement d’attaque, pleine de dynamisme pour la journée. Puis au creux de la vague, vers 16h, on rêve d’une sieste, ou à défaut d’un carré de chocolat, un café bien serré ou n’importe quoi qui nous redonne un coup de pêche. Si on traverse ce creux sans artifice, on commence à ralentir, se relaxer, on devient fatigué. Quand tout se passe comme prévu par la nature, une autre vague d’hormones nous aide à nous endormir et profiter d’une nuit de repos régénérante qui offre au cerveau les conditions nécessaires pour se libérer des toxines accumulées et structurer les circuits neuronaux désordonnés par les stimuli de la journée.
Ces vagues qui nous façonnent
Les animaux, humains compris, sont bercés par ces vagues hormonales quotidiennes. À la puberté, le cerveau masculin est inondé par une intense vague de testostérone qui culmine au début de l’âge adulte et diminue progressivement au fil des années, avec une légère variation circadienne parallèle à celle du cortisol.
Tandis que le cerveau féminin, dès la puberté, est submergé par d’intenses vagues qui modèlent (et modulent) notre comportement, nos pensées, nos aspirations, nos besoins.
Plus de 450 fois au cours de trois douzaines d’années, l’hypothalamus va ordonner à la glande pituitaire de libérer les hormones lutéine (LH) et folliculine (FSH). Ces dernières vont stimuler les ovaires à produire l’oestrogène nécessaire à la maturation des ovules et à la préparation de l’utérus pour accueillir un ovule fécondé. Et là, on ne parle plus d’une douce pente de type colline néerlandaise, mais plutôt des Dents du Midi avec des pics huit fois plus hauts que les creux.
Main dans la main avec l’oestrogène se trouve l’ocytocine, connue comme l’hormone de l’attachement ou du lien. Les taux d’oestrogène et d’ocytocine suivent des courbes parallèles et nous donnent envie de flirter, nous blottir dans les bras de l’autre et être cajolée.
Nos vagues de LH, FSH, oestrogène, ocytocine et testostérone – oui oui, les femmes produisent également de la testostérone, tout comme les hommes produisent oestrogène et ocytocine, simplement en faible quantité – réorganisent à chaque fois nos circuits neuronaux, en stimulant par exemple la mémoire, le langage et l’affection lors du pic hormonal du milieu du cycle.
Peu après l’ovulation, le taux d’oestrogène chute brutalement, suivi par le retrait de LH et FSH, emportant au loin une bonne part de notre intérêt pour l’interaction sociale et notre aisance conversationnelle. Ces hormones sont remplacées par la progestérone, toujours en préparation de l’accueil d’une grossesse. Comme pour l’ocytocine, la variation du taux de progestérone est de l’ordre de 800%. La comparaison s’arrête toutefois là. Si l’ocytocine nous pousse vers l’extérieur et augmente notre vivacité, la progestérone nous donne envie de nous retirer en nous-même, ralentit notre acuité mentale et augmente notre sensibilité à la douleur.
Pas cool penses-tu peut-être? C’est oublier à quel point le corps humain est une véritable merveille de la nature! Le foie transforme la progestérone en ALLO (allopregnanolone), provoquant l’augmentation de l’activité GABA dans le cerveau. Et le GABA (acide gamma-aminobutyrique) n’est autre que l’équivalent naturel du Valium. Il agit comme un frein à la croissance, connectivité et stimulation neuronales provoquées par l’oestrogène, sans quoi on serait sujet à des crises d’épilepsie (la version cérébrale des court-circuits). Grâce à la métabolisation de la progestérone, nos récepteurs GABA sont inondés et produisent la sensation de calme, sérénité, intériorité qui donnent envie de se blottir au coin du feu ou regarder un bon film.
Le dernier épisode du cycle est le plus médicalement considéré. Alors que la progestérone se retire et qu’ALLO disparaît avec, l’humeur chute et les émotions se glissent à fleur de peau. Pendant ces jours juste avant les règles, une légère contrariété peut être interprétée comme la fin du monde.
Des hormones aux neurones
À mesure que nos hormones suivent leur parcours en montagnes russes, elles allument et éteignent des interrupteurs neurochimiques qui modifient jusqu’à 25% de nos connexions neuronales chaque mois. Ces vagues provoquent, semaine après semaine, des différences radicales dans notre perception du monde, passant d’un mode amical, vif et positif à un filtre sombre qui interprète chaque commentaire et interaction comme une critique.
Avec la maternité, le cerveau féminin est reformaté pour mettre sa progéniture en priorité absolue. Lors de chaque grande révolution hormonale que représentent la puberté, la grossesse, le post-partum et la ménopause, nous avons parfois l’impression de perdre nos capacités cognitives. C’est l’effet secondaire direct de la mise sous silence du cortex frontal, responsable de la pensée logique et réflexive, au profit du cortex limbique ou cerveau émotionnel alors que les vagues hormonales redessinent les contours du paysage biologique féminin.
Incarnées dans la matière
Qu’on se considère un être spirituel, un faisceau d’énergie ou un simple corps, une chose est certaine: nous sommes incarnées dans la matière. Notre corps est et reste avant tout un mammifère. Nous sommes certes douées de la capacité de réfléchir sur nos actions ou nos émotions, d’interpréter notre réalité et la créer. Cependant, nous ne sommes pas capables de faire fi de notre biologie ou les vagues chimiques qui façonnent notre cerveau.
Au lieu de se battre contre ou s’en offusquer, apprenons à reconnaître notre nature cyclique et en tirer profit!
Retour de ping : La femme en transition - transition-elle
Bravo et merci pour cet excellent article avec cet éclairage scientifique qui aide à apprivoiser et comprendre nos vagues émotionnelles et nous (ré)conforte quant à la véracité de celles-ci.